Le 429 Le blog de Patrick Cargnelutti, auteur.
LES ENCHAÎNÉS de Franck Chanloup

LES ENCHAÎNÉS de Franck Chanloup

Par Patrick le 05/04/2021, publié dans auventdesiles, chroniques, roman

Le résumé de la maison d'édition

LES ENCHAÎNÉS - Franck Chanloup - Éditions Au Vent des Îles - 222 p. avril 2021

Vieux cliché, couleur sépia, deux forçats du bagne de Nouméa, coiffés d'un large chapeau, l'un assis sur un rocher, tenant une longue barre à mine, l'autre debout, les mains appuyées sur un manche de pioche, devant un à-pic de roche.

1868, Sarthe. Victor est le cadet d’une famille de brigands qui enchaîne les menus larcins. Jusqu’au jour où une agression tourne mal : il se voit contraint par son paternel de se laisser accuser du meurtre commis par son frère. À tout juste seize ans, il est incarcéré au Mans puis au bagne de Toulon. Le début de son calvaire pénitentiaire l’enchaîne à une vie de malheur. C’est alors qu’il rencontre Léopold Lebeau, un prisonnier communard idéaliste et indomptable…

1872, arrivée en Nouvelle-Calédonie. Les forçats envoyés au bagne de La Nouvelle, à Nouméa, partagent les conditions sordides et les punitions éprouvantes d’une détention placée sous la férule de gardiens sans pitié. Bravant l’impossible, un audacieux projet d’évasion voit le jour…

La mort lente...

Octobre 1868, à Rouillon, village de la Sarthe, le père Chartieu, voleur et ivrogne professionnel, a entraîné ses deux fils, Alphonse, son aîné, et Victor, quinze ans, dans une virée pickpocket et cambriolage. Juste avant de rentrer dans leur bicoque, qui abrite également Henriette et Gustave, épouse et jeune fils d’Alphonse, celui-ci décide de grimper à l’étage d’une maison bourgeoise afin d’améliorer leur butin. Tout y est éteint et Alphonse est un as de l’escalade silencieuse et de l’effraction discrète. Manque de chance, le « cassement » tourne mal et le monte-en-l’air est contraint pour s’échapper de poignarder le bourgeois. Comme ce n’était pas le jour de la famille Chatrieu, les trois lascars rencontrent une patrouille de gendarmes qui les prend en flagrant délit.

Le père Chartieu, sait qu’il n’échappera pas à la guillotine, son palmarès parle pour lui, il parvient tout de même à convaincre le jeune Victor d’endosser le meurtre et d’innocenter Alphonse qui a charge de famille. L’adolescent se voit donc enfermé à la prison du Vert-Galant, dans des conditions épouvantables jusqu’à son procès, qui, comme prévu, condamne le père à mort, relaxe Alphonse, Victor écope de neuf années de relégation en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie, selon les besoins des colonies.

Victor n’avait pas l’âme d’un brigand, son grand rêve était d’ouvrir une échoppe de cordonnier. Pour faire avancer ce projet, il travaillait, lorsque son père lui en laissait le loisir, chez André Chenaval pour 15 centimes par jour et apprenait le métier. Il avait déjà fait tous les comptes, savait qu’il lui suffirait de 24 francs afin d’acquérir les outils nécessaires et économisait. Tout cela était terminé désormais.

Le transfert de Victor jusqu’au bagne de Toulon est un calvaire, les bancs en bois brut des carrioles sont si inconfortables qu’elles blessent les prisonniers qui n’ont plus de peau sur les fesses, un supplice qui dure. Une fois sur place, l’adolescent apprend les rudiments de la vie de bagnard, à baisser les yeux, à exister le moins possible aux yeux des gardes, surtout de Lapierre, leur chef, un sadique qui n’aime rien tant qu’abuser de ses prérogatives en matière de châtiments en frappant les récalcitrants à coups de corde goudronnée, et autres atrocités.

D’autres captifs arrivent à Toulon, avant l’embarquement - nous sommes en 1872 - et les rares rescapés de la sanguinaire folie furieuse des Versaillais, après la chute de la Commune de Paris, sont envoyés en déportation. Organisés, politisés, solidaires, courageux, ils donnent du fer à retordre aux matons aussi bien à Toulon que pendant la traversée. La répression est encore plus féroce envers eux et la cruauté des gardes n’a aucune limite. Victor tombe sous le charme de Léopold Lebeau, un intellectuel, chef des Communards, rebelle, intrépide devant l’autorité quoi qu’il en coûte. Léopold parle bien, c’est un très bel homme, dont la témérité et l’entêtement à faire respecter les droits des bagnards forcent l’admiration de tous. Bien évidemment, Lebeau n’est pas du genre à ne pas tenter de s’évader, et Victor fera partie du projet... Pourtant toute évasion est réputée impossible, la police canaque traque les détenus et les ramène systématiquement morts ou vifs...

Ce roman, d’une noirceur terrible, éclairé malgré tout par une si belle histoire d’amour, parce qu’il décrit parfaitement ce qui a été une réalité, m’a totalement captivé. On est tout de suite dans l’époque, l’Empire qui se délite, les pauvres de plus en plus nombreux à mourir de faim, poussés dans la délinquance par une bourgeoisie qui les ignore et les méprise, effrayée par ce qu’elle appelle « l’armée du crime ». Tout concourt à nous projeter dans cette période charnière juste avant et après 1870, la langue employée, les personnages plus vrais que nature, la description du contexte politique, national et international, Franck Chanloup pour son premier roman a frappé très fort. Victor m’accompagnera encore longtemps, tout comme ses amis de la Commune et leur magnifique courage face à l’entreprise de déshumanisation du bagne, ramenant ces hommes à des bêtes en cage, dont la vie ou la mort n’a aucune importance. C’est avec la boule au ventre que l’on s’attend au pire tout au long du récit, aussi bien pour Victor que pour ses rares amis, mais aussi la rage envers le sadisme impuni des gardes. La Nouvelle-Calédonie, son isolement, sa nature parfois hostile, parfois extraordinaire, forme un personnage à part entière. La vie du bagne, méticuleusement restituée, décrite, les milles et une astuces des bagnards pour arriver à survivre malgré tout, à garder la tête haute pour les Communards, tout y est, un luxe de détails qui rend ce récit passionnant.

Les enchaînés est incontestablement un grand roman, Franck Chanloup est un conteur qui sait à merveille jouer avec les émotions, une dose d’humour et des scènes d’une cruauté rare, et il possède un sacré talent d’écriture !

L’auteur

Franck Chanloup est né au Maroc en 1970. Après quelques années passées en France, il décide d’émigrer en Nouvelle-Calédonie pour raisons professionnelles et se découvre un grand intérêt pour le voyage et l’histoire, trop méconnue, de ce territoire. Passionné de littérature depuis toujours, captivé par des auteurs tels que John Fante, Jonathan Safran Foer ou Pat Conroy, Franck Chanloup est blogueur littéraire, et signe avec Les enchaînés, son premier roman.

La musique

Outre les titres ci-dessous, est évoquée La Complainte des Galériens de Paul Bru.

Louise Michel - Chanson des prisons

Les Quatre Barbus - La Danaé

Marc Ogeret - Le Chant des Ouvriers

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