Le résumé de la maison d’édition
L’ÎLE DES ÂMES - Piergiorgio Pulixi - Éditions Gallmeister - 536 p. avril 2021 Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux
Depuis plusieurs décennies, la Sardaigne est le théâtre de meurtres rituels sauvages. Enveloppés de silence, les corps de jeunes filles retrouvés sur les sites ancestraux de l’île n’ont jamais été réclamés. Lorsque les inspectrices Mara Rais et Eva Croce se trouvent mutées au département des “crimes non élucidés” de la police de Cagliari, l’ombre des disparues s’immisce dans leur quotidien.
Bientôt, la découverte d’une nouvelle victime les place au centre d’une enquête qui a tout d’une malédiction. De fausses pistes en révélations, Eva et Mara sont confrontées aux pires atrocités, tandis que dans les montagnes de Barbagia, une étrange famille de paysans semble détenir la clé de l’énigme.
La première enquête de Mara Rais et Eva Croce nous plonge dans les somptueux décors de la Sardaigne, au cœur de ténèbres venues du fond des âges.
À l’aube des temps...
« Ne crains pas les morts, mais les vivants. » (proverbe sarde)
C’est une petite révolution : les éditions Gallmeister vont désormais publier des romans venant d’autres pays que les États-Unis ! Après quinze ans de productions exclusivement américaines, c’est sous la direction de Bénédicte Adrien, qui a passé dix ans dans l’Univers Poche, français et étranger, des éditions 10/18, que la maison s’ouvre à d’autres langues dont, pour commencer, l’italien, avec deux romans, Un Jour viendra de Giulia Caminito et L’Île des âmes. Pour avoir lu ce dernier, je peux vous dire que Gallmeister a eu une excellente idée d’étoffer ainsi son catalogue avec des romans de ce niveau.
L’Île des âmes, c’est la Sardaigne, pas celle d’Une Saison Douce de Milena Agus (Liana Levi - 2021), mais la Sardaigne sauvage, ancestrale, rude, loin des cartes postales, celle qui plonge ses racines au fond des grottes fréquentées déjà des milliers d’années auparavant, celle des croyances animistes, des famines, du sang et de la souffrance. L’Île des âmes, c’est tout d’abord un flic, Moreno Barrali, en arrêt maladie, rongé par un cancer du poumon qui ne lui laisse que peu de temps à vivre. Si peu d’ailleurs qu’il renonce à tout traitement pour se consacrer à sa dernière obsession : résoudre enfin l’affaire de sa vie, celle qui hante ses jours et ses nuits, qui lui gâche l’existence depuis des lustres. Deux victimes, deux jeunes femmes, tuées le Jour des morts (Sa die de sos mortes), selon un rituel identique, en 1975 et 1986. Les corps ont été découverts sur d’anciens sites sacrés nuragiques (relatif aux populations de l’île de -2000 à -1000 avant J.-C.) La police n’a jamais réussi à les identifier ni à trouver la moindre piste pour ces meurtres qui semblent des sacrifices rituels, et le dossier a rejoint l’énorme pile des affaires jamais résolues...
L’espoir renaît chez Barrali lorsque le commissaire Farci crée une section des crimes non résolus, confiée à deux policières aussi dissemblables que possible. L’une est sarde, Mara Rais, incontrôlable, grande gueule, teigne, aussi apprêtée que sa future collègue, Eva Croce, milanaise plus discrète, adepte du jean et du t-shirt. Celle-ci est également handicapée par la langue insulaire, qu’elle ne comprend pas, et sa collègue en profite largement. Seul point commun apparent, elles sont toutes deux mises au rencard par leur hiérarchie pour diverses raisons, mais en aucun cas pour incompétence. Farci leur demande de prendre le temps d’écouter Barrali, ne serait-ce que parce qu’il a été un grand flic et que l’institution lui doit bien cette reconnaissance, mais de tenter de résoudre quelques cold case afin d’augmenter les statistiques du commissariat.
Sans se faire d’illusions sur une possible résolution des meurtres, Mara et Eva, sans cesse en bisbille, font quelques recherches avant de conclure que rien ne peut permettre d’ouvrir à nouveau cette enquête. C’est alors qu’un nouveau cadavre est découvert, sur un site préhistorique, avec une mise en scène identique aux précédentes jusqu’à des détails jamais cités dans la presse. Une cellule spéciale d’enquête est mise sur pied, cellule de laquelle sont exclues bien évidemment Mara et Eva, les deux punies qui sont censées retourner à leurs dossiers poussiéreux.
Parallèlement, dans les montagnes de la Barbagia, la famille Ladu, de solides paysans, taiseux, haute taille et force herculéenne, vit hors du temps et des lois sur ses terres qui ne connaissent d’autres règles que celles édictées par leurs ancêtres. Et pas de ceux du siècle dernier, Benignu, le très vieux chef du clan, Sebastianu, son petit-fils et tous les autres membres du clan perpétuent des croyances plusieurs fois millénaires, attestées par aucun écrit, gardiens d’un culte tourné totalement vers la terre et sa fertilité, la famille et la soumission à des divinités cruelles et exigeantes.
L’intrigue principale flirte d’emblée avec l’ambiance de la première saison de True Detective, et soutient largement la comparaison, c’est vous dire le niveau de qualité. On est immédiatement envoûté par l’intrigue, la région, les personnages, tous plus énigmatiques les uns que les autres, que l’on découvre en avançant dans le texte, car tous, absolument tous, cachent de lourds secrets. L’atmosphère irrespirable, lourde, déstabilisante, de certains passages ajoutent encore à la puissance d’un texte dont la portée va bien au-delà d’une simple énigme policière. Ce nouveau duo d’enquêtrices, Croce et Rais, fonctionne plus que bien, oscillant entre coopération fructueuse, engueulades, piques sournoises et humour, les deux policières avancent, fouinent, ne se découragent jamais, y compris contre leur hiérarchie qui aurait tant aimé les voir rester dans leur placard immonde, au sous-sol du commissariat. Leurs failles vont les pousser à s’épauler, sans jamais l’admettre.
Piergiorgio Pulixi frappe très fort avec ce premier roman traduit en français, un très haut niveau d’écriture tout au long des plus de cinq cent pages, un texte érudit, imprégné de son île et de son histoire la plus ancienne. Plus on avance dans ce récit, plus on s’aperçoit que c’est au plus profond de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus primitif, que l’on progresse pas à pas, au rythme des découvertes des enquêtrices, et grâce aux révélations successives des Ladu. Le dénouement tient toutes les promesses du roman, un véritable uppercut soigneusement amené, quasi impossible à anticiper.
Un véritable coup de maître que ce livre, captivant d’un bout à l’autre, un style efficace et une construction savante, une affaire vieille comme l’humanité et un nouveau duo de policières à ne surtout pas lâcher !
L’auteur
Piergiorgio Pulixi est né en 1982 à Cagliari dans le sud de la Sardaigne. Il a été libraire avant de se consacrer à l’écriture. Après une expérience d’écriture collective de romans noirs, il s’est lancé dans une saga policière en 4 volumes, primée par le prix Glauco Felici et le prix Garfagna. Il est aussi l’auteur d’une série intitulée I canti del male (Les Chants du mal). L’Île des âmes est son dernier roman, publié en 2019 par Rizzoli, et le premier traduit en France.
La musique
Kenze Neke - Entula
Gary Clark Jr - Bright Lights
Paolo Nutini - Iron Sky
Journey - Don’t Stop Believin’
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