Le 429 Le blog de Patrick Cargnelutti, auteur.
UNE FALAISE AU BOUT DU MONDE de Carl Nixon

UNE FALAISE AU BOUT DU MONDE de Carl Nixon

Par Patrick le 07/03/2021, publié dans roman, editionsdelaube

Ce qu’en dit la maison d’édition

UNE FALAISE AU BOUT DU MONDE - Carl Nixon - Éditions de l’aube - collection l’aube Noire - 329 p. février 2021

Traduction de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Benoîte Dauvergne

Une falaise abrupte avec une cataracte se jetant dans l'océan, entourée d'une montagne couverte de foret

1978 : Une pluie incessante, quelque part sur la côte Ouest de la Nouvelle-Zélande. Des enfants endormis à l’arrière d’une voiture. Le drame semble inévitable. À peine arrivée sur le continent, la famille Chamberlain, fraîchement débarquée d’Angleterre, disparaît dans la nuit.

2010 : Suzanne reçoit un appel du bout du monde. Les ossements de l’un de ses neveux ont été retrouvés. Étrange : il aurait vécu plusieurs années après sa disparition. Mais où ? Comment ? Et qu’en est-il de ses proches ?

Quel roman !

John et Julia Chamberlain viennent de débarquer en Nouvelle-Zélande, accompagnés de leurs quatre enfants. Julia n’est pas ravie, loin s’en faut, de ce départ au bout du monde. Citadine dans l’âme, elle se plaisait à Londres, et il a fallu toute la force de persuasion de son mari, nouvellement promu à un poste important par la compagnie pétrolière qui l’emploie, pour qu’elle accepte de le suivre à Wellington, une petite ville de l’île du Nord. Il a fallu également lui promettre une prochaine affectation à New York, s’il passait le test néozélandais, qui serait assortie d’un salaire conséquent et de la possibilité d’engager une nounou afin de l’aider à s’occuper de leur progéniture.

En ce début d’automne dans l’hémisphère sud, les Chamberlain profitent des trois semaines de répit de John avant de prendre ses fonctions pour visiter la West Coast, un endroit sauvage, très peu peuplé, mais aux paysages sauvages et magnifiques. Ce soir du 4 avril 1979, au volant d’une Ford de location, John ne peut guère savourer guère les montagnes et la forêt primitive : l’obscurité est déjà installée, il pleut à torrent et la route est de plus en plus dangereuse. Son épouse à côté de lui berce la petite Emma, 9 mois, dormant dans son couffin posé à ses pieds, les autres enfants, Katherine, dix ans, Maurice, douze ans, et Tommy, cinq ans somnolent à l’arrière. La nuit tombée, sur cette mauvaise chaussée et avec cette visibilité quasi nulle, l’inévitable se produit, le véhicule des Chamberlain bascule dans une rivière. Le courant y est rendu particulièrement violent par l’abondance des précipitations, la Ford finit par se retrouver sur le toit au milieu des flots...

Novembre 2010, à Londres, Suzanne Taylor reçoit un coup de fil du Haut-Commissariat de la Nouvelle-Zélande lui annonçant qu’un certain nombre d’ossements appartenant, selon l’ADN, à son neveu Maurice, disparu depuis trente-deux ans, viennent d’être découverts sur la côte ouest de l’île du Nord. Suzanne avait été la seule à se battre afin de continuer les recherches après la disparition de sa sœur et de sa famille. Une véritable obsession s’était emparée d’elle, idée fixe qui la conduisit à effectuer quatre fois le voyage aux antipodes, et avait fini par lasser son mari jusqu’au divorce, même si cette quête n’était pas la seule raison, évidemment.

Les quelques éléments de squelette retrouvés, dont le crâne et des os longs, permettent aux experts de donner raison à Suzanne : son neveu avait au moins dix-huit ans lors de sa mort. Il avait donc survécu de longues années après la disparition et il en était peut-être de même pour d’autres membres de la famille. Également trouvé avec les restes de Maurice, un bâton étrange, entaillé sur toute sa longueur, identifié rapidement comme un « bâton de comptage », un objet utilisé depuis le Moyen Âge comme une sorte de reconnaissance de dette, le débiteur et le créancier possédant une moitié identique, les entailles figurant le montant de la créance. À l’évidence, Maurice avait rencontré quelqu’un, il n’avait pas vécu seul ses dernières années.

Alors oui, évidemment, il y eut des survivants à l’accident, mais ne comptez pas sur moi pour vous révéler comment cette extraordinaire intrigue se développe peu à peu, alternant le passé, la survie des membres de la famille Chamberlain, et le présent avec Suzanne qui évoque ses recherches vaines, tout en s’affairant aux préparatifs de funérailles qui ne mettront pas un terme à une partie des questions qui la hantent depuis plus de trois décennies.

La jeune Katherine porte ce roman de bout en bout, une histoire qui n’est pas sans rappeler l’atmosphère d’hymne à la nature, cruelle mais splendide, de Là où chantent les écrevisses de Delia Owens (Seuil - 2020), quelques scènes quasi oniriques, la superstition et la pensée magique qui interviennent lorsqu’on est coupé de toute relation à la logique. Sans jamais sombrer dans le gore, certaines scènes, très réalistes, sont difficiles (vous aurez peut-être un peu de peine à faire figurer de l’anguille sur vos futurs menus...), pourtant ce récit n’est jamais désespéré, nostalgique et triste parfois, mais toujours prompt à montrer les capacités de résilience et d’adaptation aux pires conditions des enfants.

J’avais été totalement séduit par Sous la terre des Maoris - déjà superbement traduit par Benoîte Dauvergne -, je dois aujourd’hui admettre que ce roman est encore plus puissant et bouleversant, ce qui n’est pas peu dire, et confirme l’extraordinaire talent de l’auteur. Les thèmes de ces deux récits ne sont pas si éloignés que cela : les liens familiaux, le destin, le rejet, la culture ancestrale de l’île, avec cette même atmosphère pesante, oppressante, ce sentiment de danger constant, n’empêchant pas une délicate finesse d’analyse des personnages et une grande subtilité dans les ressorts menant leurs actions.

Dans cette vallée perdue, habitée par de vieux hippies teigneux, des paumées, des exclus squattant d’anciennes maisons de mineurs, sans eau ni électricité, abandonnées depuis la fermeture de la mine, la seule plante vivrière cultivée est la marijuana, et quelques légumes, et l’unique activité économique rentable, son trafic. C’est un milieu sauvage, sans pitié ni morale, où tout est permis si cela peut favoriser la survie. Carl Nixon travaille ses personnages jusqu’à en extraire le plus intime, jusqu’au plus profond de l’âme. Ses salauds, par exemple, sont bien moins simples qu’il n’y paraît, on y découvre, même aux moments les plus durs, des éclairs d’empathie, des élans de tendresse, tout à fait étonnants.

Ne passez surtout pas à côté de ce roman, sauvage, captivant, impitoyable, mais aussi habité par certaines formes d’humanité maladroite, rustre, et d’espoirs fous.

Magistral roman noir ! Résilience et adaptation à des conditions de vie terribles, une histoire d’enfants face à la nature sauvage et à la cruauté d’adultes sans foi ni loi dans la forêt primitive de Nouvelle-Zélande !

L’auteur

Carl Nixon est né en 1967 à Christchurch (Nouvelle-Zélande), où il vit toujours. Auteur de nouvelles récompensées, il se consacre désormais à l’écriture de romans noirs. Une Falaise au bout du monde est son troisième roman noir à paraître aux éditions de l’aube, après Sous la terre des Maoris et Rocking Horse Road.

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